Avocats en grève: l’appareil judiciaire est-il paralysé ?

Depuis environ deux semaines, les avocats observent un mot d’ordre de grève lancé par le barreau de Port-au-Prince. Ils exigent le départ du commissaire du gouvernement à la suite de l’arrestation jugée illégale de Me André Michel. Quelles sont les conséquences de cette grève ? Qui sont les victimes… ? Me Patrick Laurent répond.

Le Nouvelliste : Quel est le cadre légal autorisant les avocats à recourir à la grève, disons mieux le Conseil de l’ordre ?
Me Patrick Laurent : Il est évident que la boussole de l’avocat est la loi, ses actes doivent être édictés par la loi. En effet, dans le corpus juridique haïtien, il n’existe aucun texte de loi définissant et organisant le droit de grève des fonctionnaires, des membres des professions libérales. Sur le plan du droit strict, un Conseil de l’ordre ne saurait recourir à la grève pour défaut de base légale.

Cependant, dans la législation haïtienne, seule la grève des salariés est prévue et définie par un texte légal-articles 203 à 210 du Code du travail. De plus, en cas de grève dans une entreprise, le ministre des Affaires sociales peut saisir le Conseil supérieur d’arbitrage composé de :

  1. le secrétaire d’Etat aux Affaires sociales, président;
  2. un membre de la Cour de cassation, vice-président;
  3. un représentant d’une organisation patronale parmi les plus représentatives;
  4. un représentant d’une organisation syndicale ouvrière parmi les plus représentatives;
  5. le bâtonnier de l’Ordre des avocats de la capitale, membre;
  6. le directeur du travail, membre.

Pour trancher le différend opposant les salariés à l’entreprise en cas de grève ou fermeture de l’entreprise par l’employeur. Article 189 du Code du travail.

Le Nouvelliste : Quelles sont les conséquences de la grève des avocats?
Me Patrick Laurent : Les conséquences de la grève des avocats sont multiples et énormes. Elles sont plus pertinentes au niveau pénal car un prévenu ne saurait être interrogé en l’absence d’un avocat ou d’un témoin de son choix, ni jugé en l’absence d’un avocat pour assurer sa défense. Au niveau pénal, l’assistance d’un avocat est incontournable

Le Nouvelliste : Est-ce que cette grève sous-entend que c’est l’appareil judiciaire qui est totalement paralysé ?
Me Patrick Laurent : A la vérité, une bonne partie de l’appareil est handicapée, il ne peut pas y avoir d’audience au tribunal de première instance, à la cour d’appel, en l’absence des plaideurs, bien que la loi, en matière civile, autorise le justiciable à plaider sa cause, ce qui arrive très rarement. Cependant, à la Cour de cassation, la présence de l’avocat n’est pas obligatoire, la Cour pourra fonctionner normalement.

Le Nouvelliste : Quelle est l’importance des avocats dans l’appareil judiciaire?
Me Patrick Laurent : L’avocat est un auxiliaire de justice, c’est l’intermédiaire des justiciables auprès du système judiciaire; il est le garant du droit de la défense. C’est pourquoi dans l’exercice de ses fonctions il ne doit pas être l’objet de poursuite; en aucun cas, il ne saurait être confondu avec son client.

Il jouit, par privilège, devant les organisations administratives ou de police judiciaire, quand il assiste ou représente une personne, de toutes les garanties nécessaires à la défense des droits qu’il exerce.

De plus, l’article 53 du décret du 29 mars 1979 régissant l’exercice de la profession d’avocat en Haïti dispose : « Nulle contrainte, en dehors des cas prévus par la loi, ne peut être exercée sur sa personne, à l’occasion de l’exercice de sa profession, notamment de l’exécution des actes de son ministère. La violation de ce texte entraîne la responsabilité personnelle de son auteur qui en répondra par-devant qui de droit. »

Considérations personnelles sur la grève des avocats

Le recours à la grève par des hommes de loi en vue de résoudre une question de droit prouve une fois de plus le déficit de crédibilité du système judiciaire et son inefficacité à répondre aux grandes questions juridiques. Car, toute équation juridique suppose une solution juridique.

Nul n’est au-dessus de la loi. Si un commissaire du gouvernement ou un magistrat aurait violé la loi dans l’exercice de ses fonctions, il pourrait être poursuivi et susceptible même d’être destitué. Pourquoi utilise-t-on des techniques politiciennes quand il y a des provisions légales ? A quand le triomphe du droit ? Quand est-ce que les institutions vont avoir le pas sur la rue ? Quid de l’Etat de droit ? Nous ne sommes pas encore là !

Le Nouvelliste