Comment récuser un juge?

L’actualité de ces derniers jours nous impose de répondre à certaines questions relatives à la récusation et au renvoi. Sans avoir la prétention de mettre un terme à ce débat, Parenthèse juridique, de concert avec le cabinet Patrick Laurent et Associés, apporte, à la lumière de la loi, des éléments de réponse.

Le Nouvelliste : Comment la loi définit-elle la récusation ?
Me Patrick Laurent : Il n’existe aucun article dans le Code de procédure civile qui définit la récusation. Cependant, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu en date du 21 décembre 1863, reproduit dans le Code de procédure civile annoté par Me Pierre Marie Michel au bas de l’article 436 ce qui suit : « Pour récuser un magistrat et lui enlever le droit de juger un procès dont il est saisi par la loi, il faut que les griefs qui servent de base à la récusation soient bien établis». S’inspirant de cet arrêt, on retient que la récusation est une action visant à enlever à un magistrat le droit de juger un procès dont il est légalement saisi.

Le Nouvelliste : Quel article du Code d’instruction criminelle traite de la récusation ?
Me Patrick Laurent : Dans le Code d’instruction criminelle, il n’y a aucun article qui traite de la récusation. Ce terme ne se trouve inscrit dans aucun article du Code d’instruction criminelle. Toutefois, l’action qui aura, dans un certain sens, le même effet qu’une demande en récusation est la demande en renvoi au terme de l’article 429 du Code d’instruction criminelle qui se lit ainsi : « En matière criminelle, correctionnelle ou de police, la Cour de cassation peut, sur la réquisition du commissaire du gouvernement près ce tribunal, renvoyer la connaissance d’une affaire d’un tribunal criminel, d’un tribunal correctionnel ou de police, à un autre tribunal de même qualité, d’un juge d’instruction à un autre juge d’instruction, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitime.

Ce renvoi peut aussi être ordonné sur la demande des parties intéressées, mais seulement pour cause de suspicion légitime. »

Le Nouvelliste : Quelle est la différence entre récusation et demande de renvoi ?
Me Patrick Laurent : La récusation vise à enlever un juge la connaissance d’un dossier dont il est saisi alors que le renvoi vise à enlever un tribunal tout entier (soit toute une juridiction) la connaissance d’une affaire relevant légalement de sa compétence ou un juge d’instruction la connaissance d’un dossier dont il est saisi.

La récusation équivaut à une demande de renvoi quand elle concerne tous les juges d’un tribunal de paix ou d’un tribunal civil ou d’une cour d’appel ou la majorité des juges d’une cour d’appel (articles 453 et 454 du Code de procédure civile).

Le Nouvelliste : La demande de récusation et de renvoi est produite par-devant quelle autorité judiciaire ?
Me Patrick Laurent : La procédure en récusation s’agissant :

  • d’un juge de paix : après la déclaration au greffe du tribunal de paix, la déclaration doit être envoyée au ministère public près le tribunal civil dans le ressort duquel la justice de paix est située, la récusation y sera jugée en dernier ressort dans la huitaine sur les conclusions du ministère public (art 444 Code de procédure civile) ;
  • d’un juge du tribunal civil : l’expédition de l’acte de récusation doit être remise dans les 24 heures par le greffier au doyen du tribunal civil (art 448 CPC) ;
  • d’un juge de la cour d’appel : l’expédition de l’acte de récusation doit être remise dans les 24 heures par le greffier au président de la cour d’Appel (art 448 CPC) ;
  • d’un juge de la Cour de cassation : l’expédition de l’acte de récusation doit être remise dans les 24 heures par le greffier au président de la Cour de cassation (ART 448 CPC).

La demande de renvoi doit être introduite à la Cour de cassation (article 429 du Code d’instruction criminelle et article 457 du Code de Procédure Civile).

Le Nouvelliste : À quelle phase de la procédure de récusation le juge concerné est-il tenu de surseoir au traitement du dossier?
Me Patrick Laurent : Pour le juge de paix, à partir de la communication de l’exploit de récusation, il sera sursis à tous jugements ou opérations (article 445 Code de procédure civile).

Cependant, pour les autres juges (civil, appel), à compter de la décision qui aura ordonné la communication, toutes décisions et opérations seront suspendues (art 450 CPC).

La Cour de cassation de la République consacre par un arrêt en date du 5 juillet 1982 affaire Itha Marius Joseph et Jean François pourvoyant contre les juges Elie Legagneur et Félix R.Kavanagh reproduite au bas de l’article 446 CPC annoté par Me Pierre Marie Michel : « En matière de récusation des juges des tribunaux civils, des cours d’appel et de la Cour de cassation, il est prévu deux étapes : admissibilité de la récusation et le jugement du fond ou des causes de récusations.»

Un autre arrêt de la Cour consacre que la communication ne sera ordonnée au magistrat récusé pour qu’il s’explique que si la demande est reconnue admissible (Cass. 1re section 11 Juillet 1966 au bas de l’article 448 CPC).

Pour le renvoi en matière pénale : L’article 418 du Code d’instruction criminelle concernant le règlement des juges est applicable en cas de demande en renvoi dont le 2e alinéa dispose : « La notification de l’arrêt de soit communiqué aux parties emportera de plein droit sursis au jugement du procès ; et en matière criminelle, à la mise en accusation, ou, si elle est déjà prononcée, à la formation du jury, ou à l’examen, mais non aux actes de procédure, conservatoires ou d’instruction. »

Si la Cour de cassation rejette une demande de renvoi, la partie peut introduire une nouvelle demande de renvoi si elle a trouvé d’autres éléments qui pourraient justifier pareille demande, ce qui se traduit par l’article 439 du Code d’instruction criminelle qui précise : « L’arrêt qui aura rejeté une demande en renvoi n’exclura pas une nouvelle demande en renvoi, fondée sur les faits survenus depuis. »

Le Nouvelliste : Est-ce que le mandat de comparution, d’amener, d’arrêt doit être nécessairement notifié par un huissier ?
Me Patrick Laurent : À cette question, l’article 83 du Code d’instruction criminelle dispose ce qui suit : « Les mandats de comparution, d’amener, de dépôt et d’arrêt sont notifiés par un huissier ou par un agent de la force publique, lequel en fera l’exhibition au prévenu, et il lui en sera délivré copie. »

Le Nouvelliste : Peut-on récuser un juge d’instruction dès la réception d’un mandat de comparution ou d’un mandat d’amener ?
Me Patrick Laurent : Le mandat de comparution ou d’amener ou d’arrêt n’est pas une cause de renvoi d’un juge d’instruction. La demande de renvoi n’est pas un moyen de défense à la poursuite pénale déclenchée contre un inculpé, un prévenu ou un accusé. Un acte d’instruction n’est pas une cause de renvoi.

Même si un juge d’instruction est récusé, les actes d’instruction restent et demeurent exécutoires, parce qu’ils ont été faits au nom de la République, à moins qu’une autre décision de justice en décide autrement.

Le Nouvelliste