« Mise en accusation », c’est quoi ?
Au Sénat de la République et à la Chambre des députés, certains parlementaires, notamment ceux de l’opposition, veulent mettre en accusation le chef de l’Etat, le Premier ministre et le ministre de la Justice. Ce numéro de Parenthèses juridiques fait le point avec Me Patrick Laurent sur cette menace de sanction que redoutent les membres de l’exécutif.
Le Nouvelliste : C’est quoi la mise en accusation ?
Patrick Laurent : Dans notre droit, ce terme a, au moins, deux significations.
Procédure criminelle:
La mise en accusation est un acte rédigé par le ministère public (commissaire du gouvernement) après une ordonnance de renvoi au tribunal criminel d’un inculpé par le juge d’instruction, pour accuser formellement l’inculpé du crime à lui reproché (article 177 Code d’instruction criminelle). Cet acte (l’acte d’accusation) ensemble avec l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction constituent la saisine du tribunal criminel.
Sur le plan du droit parlementaire dans sa fonction juridictionnelle :
La mise en accusation, décision de renvoi d’une autorité par-devant la Haute cour de justice. En Haïti, les autorités relevant de la Haute cour de justice sont: le président de la République; le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’Etat. Il y a ensuite, les conseillers de la Cour supérieure des comptes, le protecteur du citoyen, les juges et les officiers du ministère public près la Cour de cassation.
LN : Qui peut mettre qui en accusation ?
PL : Dans le droit criminel, c’est le commissaire du gouvernement après l’ordonnance de renvoi qui doit mettre l’inculpé en accusation. Tandis que pour le Parlement, c’est la Chambre des députés qui peut mettre en accusation les autorités passibles de la Haute cour de justice.
LN : Pourquoi mettre quelqu’un en accusation ?
PL : Au niveau de la procédure criminelle, une personne poursuivie pour crime ne saurait être entendue au tribunal criminel sans l’acte d’accusation.
Sur le plan politique, la mise en accusation c’est la saisine de la Haute cour de justice contre une autorité passible de la susdite cour. S’agissant du président de la République, pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l’exercice de ces fonctions. Pour le Premier ministre, les ministres et les secrétaires d’Etat pour crimes de haute trahison, de malversation, d’excès de pouvoir ou tous autres crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ;
Les membres du Conseil électorale permanent et de la Cour supérieure des comptes pour fautes graves commises dans l’exercice de leurs fonctions ; des juges et officiers du ministère public près la Cour de cassation pour forfaiture ce, au terme de l’article 186 de la Constitution.
LN : Quelles sont les procédures, les démarches pour la mise en accusation ?
PL : Pour la procédure criminelle après l’ordonnance de renvoi, le commissaire du gouvernement dresse l’acte d’accusation et la notifie (signifié) á l’accusé. Alors que pour le Parlement, c’est la Chambre des députés à la majorité des 2/3 de ses membres qui prononce la mise en accusation, soit 66 députés. Cependant, il faut admettre que la loi est muette sur la saisine de la Chambre des députés. Qui peut saisir la chambre des députés ? Est-ce qu’elle peut être saisie par un rapport venant du Sénat, ou d’une plainte émanant de la société civile, ou s’auto saisie ?
LN : Quelles sont les sanctions prévues par la loi ?
PL : Dans le cadre du tribunal criminel, les sanctions peuvent être la prison à vie (condamnation à perpétuité) ou la prison pour un temps déterminé (travaux forcés à temps ou la réclusion). Dans le cas de la Haute cour de justice, l’article 189 de la Constitution répond sans ambages : « La Haute cour de justice ne peut prononcer d’autre peine que la destitution, la déchéance et la privation du droit d’exercer toute fonction publique durant cinq ans au moins et 15 ans au plus.
LN : Peut-on être acquitté d’une mise en accusation ?
PL : Que ce soit au tribunal criminel ou à la Haute cour de justice, toute personne poursuivie pourrait bénéficier d’un verdict de non culpabilité. Car un procès n’est pas une simple formalité conduisant à la condamnation, c’est une quête de vérité devant permettre au juge de décider du sort de la personne poursuivie, de déterminer si les faits qui lui sont reprochés sont justes et fondés ou fantaisistes.
Si au niveau criminel, la procédure est bien établie, au niveau de la Haute cour de justice beaucoup de choses restent à faire. Ne serait-t-il pas opportun d’envisager une loi d’application ? Il faut noter aussi que la Constitution ne mentionne pas pour quelle infraction doit-on déférer le protecteur du citoyen par-devant la Haute cour de justice.